Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/214

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s’appuyer dessus plus qu’elle ne voulait, car son joli pied lui faisait un peu mal.

Nous fûmes appelées à recevoir les compliments. Nous fûmes entourées, choyées et, finalement, ravies de notre soirée.


Après Le Passant et le succès retentissant obtenu par cette adorable pièce, succès dont Agar et moi avions notre part, Chilly me prit en considération et en tendresse. Il voulut (quelle folie !) payer nos costumes.

J’étais devenue la reine adorée des étudiants. Je recevais des petits bouquets de violettes, des sonnets, des poèmes longs, longs... trop longs pour les lire.

Parfois, quand j’arrivais au théâtre, au moment où je descendais de voiture, je recevais une pluie de fleurs qui m’inondait, et j’étais joyeuse, et je remerciais mes jeunes adorateurs. Seulement, ils poussaient l’admiration jusqu’à l’aveuglement ; et quand, dans une pièce quelconque, j’étais moins bien et que le public semblait plus réservé, ma petite armée d’étudiants se révoltait et applaudissait à tout rompre, sans rime ni raison, ce qui énervait (et je le comprends) les vieux abonnés de l’Odéon, lesquels étaient bienveillants pour moi et me gâtaient aussi, mais auraient voulu que je fusse humble, plus douce, moins révoltée.

Que de fois j’ai vu un de ces vieux abonnés venant me trouver : « Chère Mademoiselle, vous avez été charmante dans Junie, mais vous mordez vos lèvres, ce que ne faisaient jamais les Romaines ! — Mon enfant, vous êtes délicieuse dans François Le Champi, mais il n’y a pas une Bretonne, en Bretagne, ayant les cheveux frisés. — Mademoiselle, me dit un jour, un peu sèche-