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du sel et d’autres denrées, vous irez les chercher au nouvel Opéra. »

Je le regardai, incrédule. « Au nouvel Opéra ?… mais il est en construction, il n’y a que des échafaudages.

— Oui, c’est cela. Vous prendrez la petite porte sous l’échafaudage qui fait face à la rue Scribe ; vous monterez par l’escalier en colimaçon qui conduit au bureau des denrées ; et on vous servira. »

« Ah ! je veux encore vous demander quelque chose.

— Parlez ! Je suis résigné à vos ordres. — Je suis très inquiète, on a mis un dépôt de poudre dans les caves de l’Odéon : si on venait à bombarder Paris et qu’un obus tombât sur le monument, nous sauterions tous, et ce n’est pas mon but. — Ceci est fort juste, dit l’aimable homme, et rien n’est plus bête que d’avoir fait un dépôt de poudre à cet endroit. Mais pour cela, je vais avoir plus de mal, parce que j’ai affaire à un tas de bourgeois entêtés qui veulent organiser la défense à leur manière. Tâchez de m’avoir une pétition signée des propriétaires et commerçants les plus influents du quartier. Êtes-vous contente ? — Oui, lui dis-je, en lui serrant amicalement les mains, oui, vous êtes bon et charmant, merci. »

Je fis un mouvement vers la porte et m’arrêtai hypnotisée par un paletot placé sur un fauteuil. Mme Guérard, qui avait suivi mon regard, me tira doucement par la manche. « Oh ! ma petite Sarah, ne faites pas cela ! » Mais je coulai un regard quémandeur vers le jeune préfet qui, ne comprenant pas, me dit : « Qu’est-ce qu’il y a encore pour votre service, jolie Madame ? » Je montrai du doigt le paletot, me faisant aussi charmeuse que possible.

« Je vous demande pardon, fit-il, ahuri, je ne com-