Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/260

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refus, un peu insolent et très positif, d’agir selon le gré des visiteurs, le célèbre républicain me tourna le dos et donna l’ordre que tout me fût refusé à la Mairie. Mais j’étais entêtée. Je remuai ciel et terre, et j’obtins, malgré l’ordre du chef, d’être comprise dans la distribution des vivres. — Il est vrai de dire que le maire était un homme charmant.

Guérard revint donc après la troisième visite à la Mairie, avec un enfant qui poussait une brouette contenant dix énormes bocaux dans lesquels se trouvait cette viande miraculeuse. Je reçus le précieux envoi avec une joie infinie, car mes hommes étaient presque privés de viande depuis trois jours, et le bien-aimé pot-au-feu était une ressource bien nécessaire pour les pauvres blessés.

Sur les bocaux, toute une inscription indiquait la manière de procéder pour ouvrir le bocal : « Laisser tremper la viande tant d’heures, etc., etc.. »
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Mme Lambquin, Mme Guérard, moi, tout le personnel de l’infirmerie, étaient groupés, anxieux et curieux, autour des récipients de verre.

Je chargeai le chef infirmier d’ouvrir le plus grand, dans lequel on entrevoyait, à travers l’épaisseur du verre, un énorme morceau de bœuf qui plongeait dans une eau épaisse et trouble. La ficelle retenant le gros papier qui cachait le bouchon fut coupée et, au moment où l’infirmier se préparait à introduire le tirebouchon, une explosion tonitruante se fit entendre et une odeur fétide emplit la pièce. Tout le monde s’enfuit épouvanté.

Je rappelai les effarés et les écœurés et, leur montrant l’inscription, ils purent lire ces mots : « Ne point