Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/312

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avait sorti de sa poche en même temps que les objets volés. « Voulez-vous laisser cela, et vous sauver bien vite ! ma patience est à bout ! — Mais si on m’attrape, je ne pourrai pas me défendre, s’écria-t-il dans un accès de rage désespérée. — C’est que Dieu l’aura voulu ainsi ! Allez-vous-en ! ou j’appelle. » Et l’homme s’enfuit en m’invectivant.

Le petit conducteur alla quérir un soldat, auquel je contai l’aventure en lui désignant les objets. « Oh ! je ne tiens pas à courir après, il y a là assez de morts. »

Nous continuâmes notre chemin jusqu’à un petit carrefour, où il nous fut possible de prendre une route à peu près carrossable.

Après avoir traversé Busigny, et un bois dans lequel se trouvaient des marais mouvants où nous faillîmes rester ensevelis, notre douloureux voyage prit fin et nous arrivâmes au Cateau dans la nuit, moitié mortes de fatigue, de frayeur et de désespérance.

Là, je dus prendre un jour de repos, car la fièvre m’anéantissait. Nous avions deux petites chambres crépies à la chaux, mais toutes proprettes. Un carrelage rouge et brillant par terre, un lit de bois verni, et des rideaux de lasting blancs.

Je fis appeler un médecin pour la gentille Mlle Chesneau, qui me semblait plus malade que moi. Mais il nous trouva toutes deux en très mauvais état. Moi, une fièvre nerveuse me cassait les membres, me brûlant le cerveau. Elle, ne pouvait rester en place, voyant sans cesse des spectres, des feux, entendant des cris, se retournant vivement, croyant être touchée à l’épaule.

Le brave homme eut raison de nos deux fatigues par une potion calmante. Et, le lendemain, un bain très chaud ramena la souplesse de nos membres.