Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/33

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homme, et j’ai pleuré en écoutant les paroles que lui avait dictées mon oncle pour m’être répétées.

Mon oncle parti, Marie, la fille du jardinier, entrait d’un air indifférent, mais les poches bourrées de pommes, de biscuits et de mendiants. Mon cousin m’envoyait du dessert ; mais elle, la brave fille, avait nettoyé tous les compotiers.

Alors je lui disais : « Assieds-toi, Marie ; et pendant que je fais mes Credo et mes Pater, épluche les mendiants, on les mangera après, quand j’aurai fini. » Et Marie s’asseyait par terre, pour cacher vite tout sous la table si ma tante était revenue. Mais ma tante ne revenait pas. Elle faisait de la musique avec ma cousine, pendant que mon oncle apprenait les mathématiques à mon cousin.

Enfin, maman annonça son arrivée. Ce fut un branlebas dans la maison de mon oncle. On préparait ma petite malle.

Le couvent de Grand-Champs, où j’allais entrer, avait un uniforme. Ma cousine, qui adorait coudre, marquait avec fureur des S.B. en coton rouge partout. Mon oncle me donna mon couvert d’argent et mon gobelet. Tout fut marqué du no 32, mon numéro matricule. Marie me donna un gros cache-nez violet dégradé, qu’elle avait tricoté en cachette depuis des jours. Ma tante me mit au cou un petit scapulaire bénit ; et quand maman arriva avec mon père, tout était prêt.

On donna un grand dîner d’adieux où furent invités deux amis de ma mère, ma tante Rosine et quatre autres membres de la famille.

Je me trouvais très importante. Je n’étais ni triste ni gaie. Je me sentais importante et cela suffisait. Tout le monde parlait de moi. Mon oncle caressait mes