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XX


A la fin de cette année 1871, on nous annonça, d’une façon un peu mystérieuse et solennelle, que nous allions jouer une pièce de Victor Hugo.

J’avais, à cette époque de ma vie, le cerveau encore fermé aux grandes idées. Je vivais dans un milieu un peu bourgeois par ma famille, un peu cosmopolite par ses connaissances et amis plus ou moins snobs et par les connaissances et amis que ma vie indépendante d’artiste m’avait fait choisir.

J’avais entendu depuis mon enfance parler de Victor Hugo comme d’un révolté, d’un renégat ; et ses œuvres, que j’avais lues avec passion, ne m’empêchaient pas de le juger avec une très grande sévérité.

Et je rougis, aujourd’hui, de rage et de honte, en pensant à tous mes absurdes préjugés entretenus par la petite cour imbécile ou de mauvaise foi qui m’encensait.

J’avais cependant le grand désir de jouer Ruy Blas. Le rôle de la reine me semblait si charmant ! Je fis part de ce désir à Duquesnel, qui me dit y avoir pensé déjà.

Cependant, Jane Essler, artiste en vogue, mais un