Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/337

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Hugo s’approcha d’elle et, après un court colloque, il tira de sa poche une piécette qu’il remit à la pauvre vieille ; puis, ôtant son chapeau, il le lui confia et, d’un geste leste, la figure rieuse, il enleva le paquet sur son épaule et traversa la chaussée, suivi de la femme ahurie.

Je descendis quatre à quatre pour l’embrasser, mais le temps de gagner le couloir, de bousculer Chilly qui voulait m’arrêter, et de descendre l’escalier, Victor Hugo avait disparu. Je ne vis que le dos de la vieille femme qui me semblait clopiner plus légèrement.

Le lendemain, je dis au poète que j’avais été témoin de sa délicate bonne action, « Ah ! me dit Paul Meurice, les yeux mouillés d’émotion : Tous les jours qui se lèvent sont jours de bonté pour lui. » J’embrassai Victor Hugo, et nous allâmes répéter.

Ah ! les répétitions de Ruy Blas ! je ne puis les oublier. Elles étaient toutes de bonne grâce et de charme.

Quand Victor Hugo arrivait, tout s’illuminait. Et ses deux satellites, qui ne le quittaient presque jamais, Auguste Vacquerie et Paul Meurice, entretenaient le feu divin quand le Maître s’absentait.

Geffroy, sévère, triste et distingué, me conseillait souvent. Puis, dans les moments de repos, je lui posai quelques mouvements, car il était peintre. Et il y a dans le foyer de la Comédie-Française deux tableaux de lui, représentant les sociétaires des deux sexes pendant deux générations. Les tableaux ne sont pas d’une facture originale, ni d’une belle coloration, mais ils sont fidèles comme ressemblance, parait-il, et d’un arrangement assez heureux.

Lafontaine, qui jouait Ruy Blas, avait parfois avec le Maître de longues discussions, dans lesquelles Victor