Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savais à qui répondre dans le flot toujours renouvelé des admirateurs et des admiratrices.

Puis, tout à coup, je vis la foule s’écarter et se mettre en haie. Et j’aperçus Victor Hugo et Girardin qui s’avançaient vers moi. En une seconde, j’évoquai toutes les stupides pensées que j’avais eues contre cet immense génie.

J’eus le souvenir de ma première entrevue, guindée et tout juste polie avec cet homme de bonté et d’indulgence. J’aurais voulu, à cet instant où toute ma vie ouvrait ses ailes, lui crier mon repentir et lui dire ma dévotieuse gratitude.

Mais, avant que j’aie pu parler, il avait mis le genou en terre, et tenant mes deux mains sous ses lèvres, il murmura : « Merci, merci. »

Ainsi, c’était lui qui disait merci. Lui, le Grand Victor Hugo, dont l’âme était si belle, dont le génie universel emplissait le Monde. Lui, dont les mains généreuses jetaient des pardons, tels des gemmes, à tous ses insulteurs !

Ah ! que j’étais petite, honteuse et heureuse !

Il se releva, serrant les mains qui se tendaient vers lui, trouvant pour chacun le mot qu’il fallait.

Il était si beau, ce soir-là, avec son large front auquel s’accrochait la lumière, sa toison d’argent drue, tels des foins coupés au clair de lune, ses yeux rieurs et lumineux.

N’osant me jeter dans les bras de Victor Hugo, je tombai dans ceux de Girardin, l’ami sûr de mes premiers pas, et je pleurai. Il m’entraîna dans un coin de ma loge, me disant : « Maintenant, il ne faut pas vous laisser griser par ce grand succès. Il ne faut plus faire de sauts périlleux, maintenant que vous voilà cou-