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oui. » Et, me penchant, je criai à mon cocher : « A la Comédie-Française ! » Puis mon regard d’au revoir se porta sur Paul Meurice, resté bouche bée sur les marches des arcades.


Arrivée à la Comédie, je fis passer ma carte à Perrin. Cinq minutes après, je fus introduite près du glacial mannequin. Car il y avait deux hommes très distincts en cet homme : celui qu’il était, et celui qu’il avait créé pour les besoins de sa carrière. Perrin était galant, aimable, spirituel, et légèrement timide ; le mannequin était froid, cassant, silencieux, et légèrement poseur.

Je fus d’abord reçue par le mannequin qui, debout, sensiblement courbé pour le salut à une femme, le bras tendu, indiqua le fauteuil hospitalier.

Il attendit avec affectation que je me sois assise, pour s’asseoir. Puis, prenant un coupe-papier pour occuper ses mains, il me dit d’une voix un peu blanche — celle du mannequin : « Vous avez réfléchi. Mademoiselle ? — Oui, Monsieur. Et voilà, je viens signer. »

Et, avant qu’il m’eût encouragée à bibeloter sur son bureau, j’avançai mon fauteuil, pris une plume et me mis en devoir de signer ; mais je n’avais pas pris assez d’encre et j’allongeai à nouveau mon bras à travers la largeur de la table. J’enfonçai résolument ma plume au fond de l’encrier. Mais, cette fois, j’en avais trop pris et, dans le trajet de retour, une grosse goutte d’encre tomba sur le large papier blanc posé devant le mannequin.

Il pencha sa tête, ayant l’œil un peu torve et regardant comme un oiseau qui aperçoit dans son millet un grain de chenevis. Et comme il se préparait à retirer la feuille tachée : « Attendez ! Attendez ! m’écriai-je