Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/347

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le ton monotone de la Maison ; et je disais ce que je pense. Mais lui, ce pauvre tragédien, était hors de lui. Il ne te trouve aucun talent. D’abord, il prétend que tu ne sais pas dire les vers, que tu ouvres trop les a... ; enfin, à bout d’arguments, il a ajouté que, lui vivant, tu n’entrerais pas à la Comédie-Française. »

Je restai un instant silencieuse, contrôlant le pour et le contre du résultat probable de ma tentative. Enfin, me décidant, je murmurai, déjà ébranlée : « Alors, tu ne veux pas m’augmenter ? — Non, mille fois non ! hurla Chilly ; tu me feras chanter quand ton engagement sera terminé, et alors nous verrons. Mais d’ici là, j’ai ta signature, tu as la mienne, je m’en tiens à notre contrat. Le Théâtre-Français, en dehors d’ici, est le seul théâtre qui te convienne. Et je suis bien tranquille de ce côté-là. — Tu as peut-être tort. »

Il se leva brusquement et, venant se camper en face de moi, les deux mains dans ses poches, il me dit d’un ton odieux et familier : « Ah çà ! tu me prends donc pour un idiot ! » Je me levai froidement et, le repoussant légèrement de la main : « Oui, je te prends pour un triple idiot ! » Et je m’élançai vers l’escalier, où les appels de Duquesnel furent vains. Je volais de deux on deux marches.


Arrivée sous les arcades de l’Odéon, je fus arrêtée par Paul Meurice qui venait, de la part de Victor Hugo, inviter Duquesnel et Chilly pour le souper de la centième de Ruy Blas.

« Je sors de chez vous, me dit-il. Je vous ai laissé un mot de Victor Hugo. — Bien, bien, c’est convenu. » Et, sautant dans ma voiture : « Je vous verrai demain, cher ami. — Mon Dieu, que vous voilà pressée ? — Oui,