Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/362

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de ces crises qui mettaient sa vie en danger ; et ce premier acte me parut interminable. Je jetai les mots après les mots, bredouillant les phrases au hasard et n’ayant qu’une idée : savoir ce qui était arrivé.

Oh ! le public ne peut pas se douter des tortures endurées par les pauvres comédiens quand ils sont là devant lui, en chair et en os, faisant des gestes, disant des mots, et que leur cœur angoissé s’envole près de l’être chéri qui souffre. En général, on peut jeter à bas les ennuis, les soucis de la vie, et, pour quelques heures, on dépouille sa propre personnalité pour en endosser une autre ; et l’on marche dans le rêve d’une autre vie, oubliant tout. Mais cela est impossible quand des êtres aimés souffrent : l’inquiétude s’agrippe à vous, atténuant les bonnes chances, grossissant les mauvaises, vous affolant le cerveau qui vit deux vies, et bousculant le cœur qui bat à se rompre.

Ce sont toutes ces sensations que je ressentais durant ce premier acte.

Je sortis de scène. « Maman... qu’est-il arrivé à maman ?... » Personne ne savait rien. Croizette s’approcha de moi et me dit : « Qu’est-ce que tu as ? Je ne te reconnais pas ? Et tu n’étais pas toi tout à l’heure, en scène ? » En deux mots je la mis au courant de ce que j’avais vu et ressenti.

Frédéric Febvre envoya vite aux nouvelles, et le médecin du Théâtre accourut : « Votre mère, Mademoiselle, a eu une syncope, mais on vient de la reconduire chez elle. « Je le regardai : « Son cœur, n’est-ce pas. Monsieur ? » — Oui, me fit-il. Elle a le cœur très agité, Madame votre mère. — Je le sais, elle est très malade. » Et je ne pus me retenir plus longtemps, j’éclatai en sanglots.