Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/363

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Croizette m’aida à remonter dans ma loge. Elle était bonne, nous nous connaissions depuis l’enfance et nous nous aimions. Rien n’a jamais pu nous brouiller ; même les méchants racontars des envieux ou les petites souffrances de vanité.

Ma chère Mme Guérard prit une voiture et courut chez maman pour me rapporter des nouvelles.

Je me remis un peu de poudre de riz. Mais le public, ne sachant pas ce qui se passait, commençait à se fâcher, m’accusant d’un nouveau caprice, et me reçut plus froidement encore. Cela m’était tout à fait égal, je pensais à autre chose : Je disais les mots de Mlle de Belle-Isle — rôle stupide et assommant, — mais j’attendais, moi, Sarah, des nouvelles de maman ; et je guettais le retour de « mon petit’dame », à laquelle j’avais dit : « Entr’ouvre la porte — côté jardin — aussitôt que tu seras de retour, et fais comme ça... avec la tête, si ça va mieux, et comme ça... si ça va mal. »

Mais, voilà que je ne me rappelais plus lequel... comme ça... était pour « mieux » ; et quand je vis Mme Guérard, à la fin du troisième acte, entr’ouvrant la porte et remuant la tête de bas en haut comme pour dire « Oui », je devins tout à fait idiote.

C’était pendant la grande scène du troisième acte : quand Mlle de Belle-Isle reproche au duc de Richelieu (Dressant) de la perdre à tout jamais. Le duc répond : « Que ne disiez-vous que quelqu’un nous écoutait, que quelqu’un était caché ? »

Je m’écriai : « C’est Guérard qui m’apporte des nouvelles !  » Le public n’eut pas le temps de comprendre, car Brossant escamota la réplique et sauva la situation.