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La Fille de Roland. Le rôle de Berthe me fut confié, et nous commençâmes de suite les répétitions de cette belle pièce, aux vers un peu plats, mais enveloppée d’un grand souffle patriotique.

Il y avait dans cette pièce un duel terrible, auquel le public n’assistait pas, mais qui lui était raconté par Berthe, fille de Roland, au fur et à mesure que les incidents se déroulaient sous les yeux de la malheureuse amante qui, d’une fenêtre du château, suivait, éperdue d’angoisse, les péripéties du combat. Cette scène était la seule importante de mon rôle très sacrifié.

La pièce était prête à passer, lorsque Bornier demanda qu’on permît à son ami Émile Augier d’assister à une répétition générale. La pièce finie, Perrin vint à moi : il avait l’air affectueux et contraint. Quant à Bornier, il vint droit à moi, l’air décidé et batailleur. Émile Augier le suivait. « Voilà... », me dit-il. Je le regardai fixement, le sentant ennemi dans cette minute. Il s’arrêta court et, se grattant la tête, se tourna vers Augier, en disant : « Je vous en prie, cher Maître, expliquez vous-même à Mademoiselle... »

Emile Augier était un homme grand, large d’épaules, à l’aspect commun, à la parole un peu grasse. Il était très considéré au Théâtre-Français dont il était pour le moment l’auteur à succès. Il s’approcha de moi : « C’est très bien, ce que vous avez fait à cette fenêtre, Mademoiselle, mais c’est ridicule ; ce n’est pas votre faute, mais celle de l’auteur, qui a écrit une scène invraisemblable. Le public se roulerait de rire, il faut couper cette scène. »

Je me tournai vers Perrin qui écoutait silencieux : « Est-ce votre avis, Monsieur l’administrateur ? J’ai discuté tout à l’heure avec ces Messieurs, mais l'au-