Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/414

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torse. Je choisis un beau petit gars de sept ans qui me paraissait bien neuf.

J’avais fait venir les manœuvres, qui avaient, d’après mon esquisse, monté la carcasse nécessaire à soutenir le poids de mon groupe : d’énormes tiges de fer retenues par des crampons scellés dans le plâtre, puis, partout, d’autres de bois, de fer, auxquelles on suspend des papillons, c’est-à-dire deux petits bouts de bois de trois à quatre centimètres tenus en croix par un petit fil de fer qui s’accroche à toutes les tiges. La carcasse d’un grand groupe ressemble à un immense piège dressé pour attraper des milliers de rats et souris.


J’attaquai cet énorme travail avec le courage d’un ignorant. Rien ne me rebutait. Je travaillais souvent jusqu’à minuit, quelquefois jusqu’à quatre heures du matin. Et comme l’humble bec de gaz était insuffisant pour éclairer, je m’étais fait faire une couronne, ou plutôt un cercle d’argent dont chaque fleuron était un bougeoir dans lequel on mettait une bougie, ceux de derrière ayant quatre centimètres de plus haut que les autres, et, ainsi casquée, je travaillais sans désemparer.

Je n’avais pas une pendule, pas une montre avec moi, je voulais ignorer l’heure, sauf quand je jouais ; alors, une femme de chambre venait me chercher. Que de fois je n’ai ni déjeuné, ni dîné, ayant oublié. J’étais alors prévenue par un évanouissement de faiblesse, et vite je me faisais chercher des gâteaux.


J’avais presque terminé mon groupe, mais je n’avais pas fait les pieds ni les mains de ma pauvre grand’mère. Elle tenait son petit gars mort sur ses genoux, mais