Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/44

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profondément ; puis les regards convergèrent vers moi.

Mère Sainte-Sophie me conduisit dans le fond, à la place choisie. Puis elle revint au milieu du réfectoire. Elle s’arrêta, fit le signe de la croix, et dit à haute voix le Benedicite.

Quand elle quitta le réfectoire, tout le monde salua de nouveau, et je me trouvai toute seule… toute seule dans la cage des petites fauves.


J’étais assise entre deux fillettes de dix à douze ans, noires comme deux petites taupes. Deux jumelles de la Jamaïque, nommées Dolorès et Pepa Cardaños. Elles étaient au couvent depuis deux mois seulement et semblaient aussi intimidées que moi.

Il y avait pour dîner : de la soupe à… à tout !… Et du veau avec des haricots blancs. Je détestais la soupe. Et j’ai toujours eu le veau en horreur.

Je retournai mon assiette quand on passa la soupe, mais la sœur converse la retourna brutalement ; et, au risque de me brûler, me versa de force la soupe dans mon assiette.

« Faut manger votre soupe, me dit tout bas ma voisine de droite qui s’appelait Pepa. — J’aime pas cette soupe-là ! Je n’en veux pas ! »

La sœur inspectrice passait : « Mademoiselle, il faut manger votre soupe. — Non, je ne l’aime pas… cette soupe-là ! »

Elle sourit, et me dit doucement : « Il faut tout aimer. Je reviendrai tout à l’heure. Soyez gentille. Mangez votre soupe. »

Je commençais à rager ; mais Dolorès me passa son assiette vide et gentiment mangea ma soupe.

Quand l’inspectrice revint, elle témoigna sa satis-