Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/47

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mal ! C’est une méchante !… ». Et j’éclatai en sanglots. Mes mains se desserrèrent. Et je me trouvai, sans que j’en eusse conscience, étendue sur mon petit lit, la main de mère Sainte-Sophie sur mon front, et sa voix, tendre et grave, me sermonnant doucement.

Tout le monde était parti. J’étais seule avec elle et la petite Sainte Vierge dans sa niche.


À partir de ce jour, mère Sainte-Sophie prit un énorme ascendant sur moi.

Chaque matin, elle me faisait venir ; et sœur Marie, à qui j’avais demandé pardon devant tout le couvent réuni, me peignait doucement en sa présence.

Assise sur un petit tabouret, j’écoutais la lecture que faisait la mère Supérieure, ou l’histoire instructive qu’elle me contait. Ah ! l’adorable femme ! Et que j’aime à me rappeler son souvenir !

Je l’adorais, comme on adore, petit enfant, un être qui vous a prise toute, sans savoir, sans discuter, sans se rendre compte, subissant un charme infini.

Mais depuis, je l’ai comprise et admirée. J’ai deviné l’âme unique et rayonnante emprisonnée sous l’enveloppe courtaude et rieuse de cette sainte femme.

Je l’ai aimée pour tout ce qu’elle a éveillé de noble en moi. Je l’aime pour les lettres qu’elle m’a écrites et que je relis souvent. Je l’aime, parce qu’il me semble que tout imparfaite que je sois, je le serais cent fois plus si je n’eusse connu et aimé cette pure créature.

Une seule fois, je la vis sévère et la sentis soudainement en colère : Il y avait dans la petite pièce qui précédait sa cellule et qui servait de salon, le portrait d’un jeune homme dont le beau visage était empreint d’une certaine noblesse.