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« C’est l’Empereur ?… demandai-je. — Non, fit-elle, en se retournant vivement, c’est le Roi ! c’est Henri V. »

Je ne compris que plus tard le pourquoi de son émoi. Tout le couvent était royaliste. Et Henri V était le souverain reconnu.

On avait le plus profond mépris pour Napoléon III ; ce qui fit que, le jour du baptême du Prince Impérial on ne nous fit pas de distribution de bonbons et que nous ne profitâmes pas du jour de congé accordé à tous les pensionnats, lycées et couvents.

La politique était lettre morte pour moi ; et je me trouvais heureuse au couvent, grâce à mère Sainte-Sophie.

Puis, j’étais très aimée de mes compagnes qui souvent faisaient mes compositions à ma place.

Je n’avais aucun goût pour l’étude, sauf pour la géographie et le dessin. L’arithmétique me rendait folle. L’orthographe m’assommait ; et j’avais un profond mépris pour le piano. J’étais restée timide, et perdais la tête quand on m’interrogeait à l’improviste.

J’avais la passion des bêtes, et je promenais avec moi, dans des petits cartons ou des cages que je fabriquais, des couleuvres — nos bois en étaient peuplés, — des cricris sur des feuilles de lis, des lézards qui avaient presque toujours la queue cassée parce que, pour voir s’ils mangeaient, je soulevais le couvercle de la boite un tout petit peu, ce que voyant, mes lézards se précipitaient vers l’ouverture, je refermais très vite, rouge et surprise de tant d’aplomb, et crac, soit à droite, soit à gauche, il y avait une queue de prise. Et je me désolais des heures. Et pendant que la sœur nous expliquait, faisant des signes sur le tableau, le système métrique, je pensais — la queue de mon lézard dans la main — au moyen de la lui recoller.