Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/472

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Le fou rire s’était emparé de moi, de mon amie Louise Abbema, du peintre Nittis venu pour me rendre visite, de Gustave Doré qui m’attendait depuis deux heures. Georges Deschamps, un musicien amateur de beaucoup de talent, essaya de noter cette harmonie hoffmannesque, pendant que mon ami Georges Clairin, le dos secoué par le rire, croquait cette inoubliable scène.

Le lendemain, dans Londres, il ne fut bruit que du sabbat qui avait eu lieu au 77 de Chester Square, et cela prit une telle proportion que notre doyen, M. Got, vint me prier de ne point faire un tel scandale qui rejaillissait sur la Comédie-Française.

Je l’écoutai sans rien dire et, lui prenant la main : « Viens, je vais te montrer le scandale. » Je l’entraînai dans le jardin, suivi de mes visiteurs et amis. « Lâchez le guépard ! » m’écriai-je debout sur les marches, semblable à un capitaine de vaisseau criant : « Prenez des ris ! » Et le guépard lâché, la scène folle de la veille se renouvela.

« Tu vois. Monsieur le doyen ! Voilà mon sabbat. — Tu es folle ! me dit-il en m’embrassant. Mais c’est crânement drôle. » Et il riait aux larmes en voyant les têtes apparaître au-dessus du mur.


Cependant, les hostilités continuèrent par les petits potins transportés de bouche en bouche, de milieu en milieu, tant dans la presse française que dans la presse anglaise.

Malgré ma belle humeur et mon mépris des racontars, je devenais agacée. L’injustice m’a toujours profondément révoltée. Et l’injustice s’en donnait à cœur joie. Je ne pouvais rien faire qui ne fût contrôlé de suite, blâmé.