Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/488

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J’ai joué avec des comédiens célèbres qui m’ont fait de méchants tours. En revanche, il en est parmi ceux-là qui sont des êtres exquis, restant en scène plus hommes que comédiens : Pierre Berton, Worms et Guitry sont et resteront les types les plus parfaits de courtoisie amicale et protectrice pour la comédienne. J’ai joué quantité de pièces avec chacun d’eux et, moi qui suis si « traqueuse », je me sentais en confiance avec ces trois artistes ; je les savais d’une intelligence supérieure, pitoyables à mon « trac » et en éveil pour les faiblesses nerveuses que me donnait ce trac.

Pierre Berton et Worms, deux grands, très grands artistes, se sont retirés de la scène en pleine vigueur artistique, en pleine force vitale : Pierre Berton pour se consacrer à la littérature, Worms, on ne sait pas pourquoi... Quant à Guitry, le plus jeune de beaucoup, il est le premier artiste de la scène française, car c’est un admirable comédien doublé d’un artiste, ce qui est fort rare. Je connais très peu d’artistes en France et à l’étranger réunissant ces deux qualités.

Henry Irving est un admirable artiste, mais pas un comédien. Coquelin est un admirable comédien, il n’est pas artiste. Mounet-Sully a du génie, qu’il met tantôt au service de l’artiste, tantôt au service du comédien ; mais, en revanche, il a parfois des exagérations comme artiste et comédien qui font grincer des dents les amateurs du Beau et de la Vérité. Bartet est une parfaite comédienne, ayant un sens artistique très délicat. Réjane, la plus comédienne des comédiennes, est artiste quand elle le veut.

Eleonora Duse est plus une comédienne qu’une artiste ; elle marche dans les routes tracées par d’autres ; elle ne les imite pas, certes, car elle plante des fleurs où