Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

debout, les deux mains sur la table qui portait un flambeau allumé. On cria dans la salle, car mes cheveux étaient près de la flamme. Le lendemain, un journal disait que, sentant la partie perdue, j’avais voulu mettre le feu à mes cheveux pour faire cesser la représentation avant mon échec complet. C’était le comble des combles de la stupidité.

La presse ne fut pas bonne. Et la presse avait raison. J’avais été inférieure, laide et en méchante humeur ; mais je trouvais qu’on manquait de courtoisie et d’indulgence à mon égard. Auguste Vitu, dans Le Figaro du 18 avril 1880, terminait son article par cette phrase :


La nouvelle Clorinde (l’Aventurière) a eu pendant les deux derniers actes des mouvements de corps et de bras qu’il serait fâcheux d’emprunter à la grande Virginie de L’Assommoir pour les introduire à la Comédie-Française.


Le seul défaut que je n’ai jamais eu et que je ne pourrai jamais avoir, c’est la vulgarité. C’était donc une injustice et un parti pris de me froisser. Vitu, du reste, n’était pas mon ami.

Je compris à cette façon de m’attaquer que les petites haines dressaient leurs petites têtes de serpent à sonnettes. Tout le bas petit monde vipérin grouillait sous mes fleurs et mes lauriers, je le savais depuis longtemps. J’entendais parfois à la cantonade le cliquetis de leurs petits anneaux. Je voulus me donner la joie de les faire sonner tous à la fois. Je jetai mes lauriers et mes fleurs aux quatre vents. Je rompis brutalement le contrat qui me liait à la Comédie-Française et par cela même à Paris.