Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/507

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un vilain coup de Jarnac que Perrin espérait porter à mes représentations de Londres.

Il m’avait, avant cela, envoyé Got qui venait officieusement me demander si je ne voulais pas décidément rentrer à la Comédie-Française ; qu’on me laisserait faire ma tournée d’Amérique ; et que tout s’arrangerait à mon retour. Mais ce n’était pas Got qu’il aurait fallu m’envoyer : c’était ou Worms, ou « le petit père la Franchise » (Delaunay).

L’un m’aurait persuadée par ses raisonnements affectueux et nets ; l’autre m’aurait peut-être persuadée par la fausseté de ses arguments, présentés avec une grâce si enveloppante qu’il était difficile de s’y soustraire.

Got me déclara que je serais trop heureuse de rentrer à la Comédie à mon retour d’Amérique. « Car tu sais, ajouta-t-il, tu sais, ma petite, que tu vas crever là-bas. Et, si tu en reviens, tu seras peut-être bien heureuse de rentrer à la Comédie-Française, car tu seras pas mal démolie, et il faudra du temps pour te remettre. Crois-moi, signe ! Et ce n’est pas nous qui faisons la bonne affaire là-dedans... — Je te remercie, lui répondis-je. Mais je préfère choisir mon hôpital à mon retour. Et maintenant, laisse-moi tranquille. » Je crois même que je lui ai dit : « Fiche-moi la paix !... »

Le soir, il assistait à la représentation de Froufrou. Il vint dans ma loge et me dit : « Signe ! crois-moi. Et rentre dans Froufrou ! Je te promets une jolie rentrée ! » Je refusai et terminai, sans Coquelin, mes représentations à Londres.

La moyenne de nos recettes fut de neuf mille francs. Et je quittai Londres avec regret, moi qui l’avais quitté avec tant de joie la première fois.