Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/519

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être quelqu’un, ce n’est qu’après la mort que la manifestation s’affirme.

Aujourd’hui que je descends l’autre versant de la colline de la vie, je regarde gaiement tous les piédestaux sur lesquels j’ai été élevée ; il y en eut tant et tant que leurs morceaux, brisés par les mêmes Sicambres qui les avaient dressés, me font un pilier solide sur lequel je me tiens heureuse de ce qui fut, attentive à ce qui sera. Mon amour-propre imbécile a fait du mal à qui ne voulait pas m’en faire et j’ai gardé de cet incident un chagrinant remords.


Je quittai Copenhague au milieu des ovations et aux cris mille fois répétés de « Vive la France ! » A toutes les fenêtres, des drapeaux français claquaient leur joli bruit cinglant ; et je sentais bien que tout cela n’était pas pour moi, mais contre l’Allemagne. Je servais de prétexte.

Depuis, les Allemands et les Danois se sont très solidement réunis ; et je ne jurerais pas que quelques Danois ne m’aient gardé rancune de l’histoire du baron Magnus.

Je rentrai à Paris pour faire mes derniers préparatifs pour le grand voyage en Amérique. Je devais être embarquée le 15 octobre.

Un jour d’août, je recevais comme de coutume, à cinq heures, tous mes amis, qui se pressaient d’autant plus que j’allais partir pour longtemps. Il y avait là Girardin, le comte Kapenist, le maréchal Canrobert, Georges Clairin, Arthur Meyer, Duquesnel, la si belle Augusta Holmes, Raymond de Montbel, Nordenskjold, O’Connor, et d’autres personnes amies. Je pérorais,