Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/520

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heureuse de me retrouver dans ce milieu de tendres et d’intellectuels.

Girardin faisait l’impossible pour me détourner de mon voyage en Amérique. Il avait été l’ami de Rachel et me racontait la triste épopée de ce voyage. Arthur Meyer trouvait que je devais toujours agir selon mon impulsion. Les autres amis discutaient.

Le maréchal Canrobert, cet homme admirable que la France adorera toujours, disait ses regrets de ces bonnes causeries de cinq heures : « Mais notre jeune amie a une nature combative. Nous n’avons pas le droit, dans notre égoïste affection, d’arrêter l’effort de sa volonté. — Ah ! oui, m’écriai-je. Oui, je suis faite pour la lutte, je le sens. Rien ne m’amuse comme d’avoir à dompter un public hostile à l’avance par les racontars et les potins des journaux. Aussi, je regrette de ne pouvoir jouer, non à Paris, mais en France, mes deux grands succès : Adrienne et Froufrou. — Qu’à cela ne tienne, s’écria Félix Duquesnel. Ma chère Sarah, c’est avec moi que tu as eu tes premiers succès, veux-tu avoir avec moi les derniers ? »

Tout le monde se récria ; et je bondis.

« Attends, ajouta-t-il ; les derniers... jusqu’à ton retour d’Amérique. Si oui, je me charge de tout. Dans huit jours la troupe sera faite. J’aurai, coûte que coûte, des théâtres dans les plus grandes villes, et nous donnerons vingt-cinq représentations pendant le mois de septembre. Quant aux conditions d’argent, elles seront des plus simples : Vingt-cinq représentations, cinquante mille francs. Demain, je te remettrai moitié de la somme et te ferai signer ton contrat pour ne pas te laisser le temps de te dédire. »

J’applaudis des deux mains, joyeuse.