Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/525

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n’étais pas depuis huit jours à Paris que je reçus la visite de M. Bertrand, alors directeur des Variétés. Son frère était directeur du Vaudeville, en association avec Raymond Deslandes. Je ne connaissais pas Eugène Bertrand, mais je le reçus de suite, car je le savais ami d’amis communs.

« Qu’est-ce que vous faites à votre retour d’Amérique ? me demanda-t-il après les bonjours échangés. — Mais... je ne sais pas... Rien... Je ne fais rien. Je n’ai pensé à rien. — Eh bien, moi, j’ai pensé pour vous. Et s’il vous plaît rentrer à Paris dans une pièce de Victorien Sardou, je signe de suite avec vous pour le Vaudeville. — Ah ! m’écriai-je, le Vaudeville, y pensez-vous ? Raymond Deslandes est directeur et il m’en veut à mort à cause de ma fuite du Gymnase le lendemain de la première de sa pièce, Un mari qui lance sa femme. Sa pièce était ridicule ; moi, plus ridicule que la pièce, dans un rôle de jeune Russe affolée de danse et de sandwiches. Jamais cet homme ne voudra m’engager. »

Il se mit à sourire : « Mon frère est l’associé de Raymond Deslandes. Mon frère... c’est moi, en un mot ! Tout l’argent apporté par les deux : c’est le mien ! Je suis seul maître ! Qu’est-ce que vous voulez gagner ? — Mais... Mais je ne sais pas... — Voulez-vous quinze cents francs par représentation ? » Je le regardai, ahurie et pas très tranquille sur sa raison.

« Mais, Monsieur, si je ne réussis pas, vous perdrez de l’argent, et cela... je ne peux pas l’admettre. — Soyez sans crainte. Je vous réponds du succès... succès colossal ! Voulez-vous signer ? Tenez, je vous assure cinquante représentations ? — Ah ! ça, non ! jamais ! Je signe avec joie ! J’adore le talent de Victorien Sardou, mais je ne veux aucune garantie. Le succès dépend de