Aller au contenu

Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaires, la probité est l’arme la plus terrible contre les coquins et les rusés : les uns ne la connaissent pas, les autres n’y croient pas ; et le revolver est une invention admirable pour forcer les drôles à ratifier la parole donnée. » Et il me racontait d’admirables et terrifiantes aventures.

Il avait sous l’œil droit, une cicatrice profonde. Dans une discussion violente à propos d’un contrat à signer pour Jenny Lind, la célèbre cantatrice, Jarrett dit à son interlocuteur : « Regardez bien cet œil, Monsieur — il montrait son œil droit, — il lit dans votre pensée tout ce que vous ne dites pas ! — Il lit mal ! répondit l’autre, car il n’a pas prévu cela ! » Et il lui lâcha un coup de revolver destiné à lui crever l’œil droit, « Monsieur, répliqua Jarrett, c’est ainsi qu’il fallait tirer pour le fermer à tout jamais ! » Et il logea une balle entre les deux yeux de l’homme, qui tomba raide mort.

Quand Jarrett narrait cette histoire, sa lèvre se retroussait, ses deux incisives semblaient broyer délicieusement les mots, et les saccades de son rire étouffé semblaient des claquements de mâchoires… Mais cet homme était honnête et probe ; je l’aimais beaucoup et j’aime son souvenir.


Ma première impression fut joyeuse, et je battis des mains en entrant dans ce salon que je n’avais pas encore vu. Les bustes de Racine, de Molière, de Victor Hugo étaient sur des socles entourés de fleurs. Autour de la large pièce, des canapés chargés de coussins ; et, pour évoquer mon home de Paris, de grands palmiers allongeaient leurs palmes au-dessus d’eux.

Jarrett me présenta l’aimable instigateur de cette