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Les vingt-huit mille francs furent déposés entre les mains d’un attorney, qui intenta en mon nom un procès au Board of Customs.

Mes malles me furent remises contre ce dépôt, et les répétitions commencèrent au Booth’s Théâtre.

Le lundi 8 novembre, à huit heures et demie, la toile se leva pour la première représentation d’Adrienne Lecouvreur. La salle était bondée. Toutes les places, vendues aux enchères et revendues, avaient été payées des prix exorbitants.

J’étais attendue avec impatience, avec curiosité, mais sans sympathie.

Il n’y avait pas de jeunes filles dans la salle, le spectacle étant trop immoral. (Pauvre Adrienne Lecouvreur !)

Le public fut très poli pour les artistes de ma compagnie, mais un peu impatient de voir l’étrange personne qu’on leur avait annoncée.

Dans la pièce, le rideau tombe après le premier acte sans qu’Adrienne ait paru. Un spectateur dépité demanda à voir M. Henry Abbey. « Je veux mon argent, puisque la Bernhardt n’est pas de tous les actes ! » Abbey refusa de rendre l’argent à ce bizarre individu. Et le rideau se levant pour le deuxième acte, il courut prendre possession de son fauteuil.

Mon entrée fut saluée par plusieurs salves d’applaudissements qui, je crois, avaient été payés par Abbey et Jarrett.

Je commençai ; et la douceur de ma voix dans la fable des Deux Pigeons opéra le miracle. La salle entière, cette fois, éclata en bravos.

Le courant sympathique venait de s’établir entre le public et moi. Au lieu du squelette hystérique qu’on