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Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/562

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Un joli train spécial, tout enguirlandé de fleurs, orné de drapeaux, qu’on avait eu l’obligeante amabilité de préparer pour moi. Mais nous fîmes quand même un voyage pénible, car il fallait s’arrêter à tout propos, pour un train qui passait, une locomotive qui louvoyait, ou pour attendre l’aiguillage.

Il était deux heures du matin quand le train stoppa définitivement à la station de Menlo Park, résidence de Thomas Edison. La nuit était noire, profonde. La neige tombait silencieuse et lourde. Une voiture attendait ; et la seule lanterne de cette voiture éclairait la station ; car, par ordre, les lumières électriques avaient éteint leurs feux.

Je m’orientai, soutenue par Jarrett et aidée de quelques amis qui nous accompagnaient depuis New-York.

Le froid intense glaçait la neige qui tombait ; et nous marchions sur de véritables glaçons, hérissés, tranchants et friables.

Derrière le léger cabriolet était une plus lourde voiture, attelée d’un cheval et sans lanterne. Cette voiture pouvait contenir cinq ou six personnes entassées ; nous étions dix. Jarrett, Abbey, ma sœur et moi prîmes place dans la première voiture ; et les autres personnes s’entassèrent dans la seconde.

Nous avions l’air de conspirateurs : la nuit noire, les deux voitures mystérieuses, le silence imposé par le froid glacial, l’emmitouflement de nos membres sous nos fourrures, les regards inquiets jetés çà et là, tout cela donnait une tournure d’opérette à cette visite chez le grand Edison.

Les voitures roulèrent, enfonçant dans la neige, cahotant terriblement ; et les cahots nous faisaient craindre à tout instant un accident tragi-comique.