Depuis combien de temps roulions-nous ? Je ne puis le dire. Bercée par le mouvement de la voiture, enfouie dans la chaleur de mes fourrures, je somnolais doucement, lorsqu’un formidable : « Hip ! hip ! hurrah ! » nous fit sursauter, mes compagnons, le cocher, les chevaux, et moi ; et avec la rapidité de la pensée, la campagne s’illumina tout à coup. Partout : sous les arbres, sur les arbres, dans les buissons, le long des allées, des lumières jaillissaient fulgurantes, triomphantes.
La voiture fit encore quelques tours de roue et nous fûmes devant la maison de l’illustre Thomas Edison.
Un groupe de personnes nous attendait sous la vérandah. Quatre hommes, deux dames et une jeune fille.
Le cœur me battait : Lequel de ces hommes était Edison ? Je n’avais pas vu sa photographie, et j’admirais profondément ce génial cerveau.
Je sautai de voiture. L’éblouissante lumière électrique nous donnait l’illusion du plein jour. Je pris le bouquet que me présentait Mme Edison et, tout en la remerciant, j’essayai de découvrir lequel de ces hommes était le grand homme. Tous quatre s’étaient avancés vers moi, mais l’un d’eux rougit légèrement, et son œil bleu exprima un si angoissant ennui que je devinai Edison.
Je devins confuse et gênée moi-même, car je sentais bien que je dérangeais cet homme. Il ne voyait dans ma visite que la banale curiosité d’une étrangère ivre de réclame. Il entrevoyait déjà les interviews du lendemain, les stupidités qu’on lui ferait dire. Il souffrait à l’avance des questions ignorantes que j’allais lui poser, des explications que la politesse le forcerait à me donner ; et pendant une minute Thomas Edison me prit en aversion.