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hommes, qui cachent sous le nom de civilisation le plus injuste et le plus protégé des crimes.


Je revins à Montréal un peu triste et fatiguée. Le succès de nos quatre représentations fut extraordinaire, mais ce qui pour moi leur donnait un charme particulier, c’était l’infernal et joyeux tapage des étudiants. Tous les jours on ouvrait les portes du théâtre une heure à l’avance pour eux. Là, ils s’arrangeaient selon leur convenance.

Doués pour la plupart de voix magnifiques, ils se groupaient selon la nécessité des chants qu’ils voulaient faire entendre ; puis ils préparaient, avec une forte ficelle à poulies, la route aérienne que devaient suivre les corbeilles fleuries qui descendaient de leur paradis au mien. Ils enrubannaient des colombes portant à leur cou des vœux, des sonnets, des pensées.

Ces fleurs et ces oiseaux étaient lancés pendant les rappels et venaient s’abattre : les fleurs, à mes pieds par une heureuse conduite des fils, les colombes, au gré de leur effarement. Et chaque soir, se renouvelaient ces envois de grâce et de beauté.

J’eus la première soirée une émotion assez vive. Le marquis de Lomé, gendre de la reine Victoria, gouverneur du Canada, était d’une exactitude royale, les étudiants le savaient. La salle était bruyante et frémissante. Je regardais, par une ouverture du rideau, la composition de cette assemblée. Tout d’un coup, il se fit un silence immédiat sans qu’aucune manifestation en eût provoqué l’effet ; et La Marseillaise fut entonnée par trois cents voix mâles, jeunes et chaudes.

Le gouverneur, avec une courtoisie pleine de grandeur, se leva aux premiers accents de notre hymne