Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/590

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voir deux gentlemen qui s’intéressaient à mon tir. Je voulus me retirer de suite, mais l’un d’eux s’approcha de moi : « Vous plait-il, Madame, venir tirer un canon ? » Je faillis tomber par terre de surprise et je fus une seconde sans répondre, puis je m’écriai : « Je veux bien ! »

Rendez-vous fut pris avec mon original interlocuteur, qui était le directeur de la manufacture d’armes Colt, Je me rendis une heure après au rendez-vous. Plus de trente personnes, invitées en toute hâte, attendaient déjà. Cela m’agaça un peu. Je tirai le canon-mitrailleuse nouvellement inventé. Cela m’amusa beaucoup sans me donner aucune émotion.

Et le soir, après la glaciale représentation, nous partîmes pour Baltimore dans une course vertigineuse, la représentation ayant fini plus tard que l’heure du train. Il s’agissait de rattraper ce dernier à tout prix. Et les trois énormes voitures qui composaient mon train particulier furent lancées à toute vapeur. Ayant deux machines, nous faisions des bonds sur la voie et nous retombions, grâce à quel miracle ? sur les rails.

Nous arrivâmes enfin à rejoindre l’express qui, nous sentant sur ses talons et averti par les dépêches, fit une courte halte, juste le temps de nous accrocher tant bien que mal ; et nous arrivâmes ainsi à Baltimore, où je restai quatre jours, donnant cinq représentations.

Deux choses me frappèrent dans cette ville : le froid mortel des hôtels et du théâtre, et la beauté des femmes.

J’eus une profonde tristesse à Baltimore, car je passais le premier janvier loin de ce qui m’était cher. Je pleurai toute la nuit, et j’eus cette minute de découragement qui fait souhaiter la mort.

Le succès cependant avait été colossal dan» cette