Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/594

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sentiment d’humanité s’est glissé, quoique bien timidement encore, dans ce temple des hécatombes porciennes.

Je revins très souffrante de cette visite. Le soir, je jouai Phèdre. J’entrai en scène très énervée et voulant tout faire pour chasser l’horrible vision du tantôt.

Je me jetai à cœur et à cerveau perdus dans mon personnage, tant et si bien qu’à la fin du quatrième acte, je tombai sur la scène complètement évanouie.

Le jour de ma dernière représentation, on me remit, de la part des dames de Chicago, un magnifique collier de diamants.

Je quittai cette ville aimant tout d’elle : son peuple, son lac grand comme une petite mer intérieure, son public si enthousiaste, tout, tout, mais pas ses stock-yards.

Et je n’en voulais même pas à l’évêque qui, lui aussi, comme dans les autres villes, avait tonné contre mon art et la littérature française.

Du reste, il nous avait fait, par la violence de ses sermons, une telle réclame, que le manager M. Abbey lui écrivit la lettre suivante :

Monseigneur, J’ai l’habitude, quand je viens dans votre ville, de dépenser pour la publicité quatre cents dollars. Mais, comme vous l’avez faite pour moi, je vous envoie deux cents dollars pour vos pauvres.

Henry Abbey.

Nous quittons Chicago pour nous rendre à Saint-Louis, où nous arrivons après avoir fait 283 milles en quatorze heures.