Dans le salon de mon car, Abbey et Jarrett me montrent le bilan des soixante-deux représentations données depuis notre départ : soit 227,459 dollars ; c’est à-dire un million cent trente-sept mille deux cent quatre-vingts francs, en moyenne dix-huit mille trois cent quarante-trois francs par représentation.
Cela me fit grand plaisir pour Henry Abbey, qui avait tout perdu dans sa précédente tournée avec une compagnie d’artistes admirables chantant l’opéra, et plus grand plaisir pour moi qui recevait une large part des recettes.
Nous restâmes à Saint-Louis toute une semaine. Du 24 au 31 janvier. Je dois dire que cette ville, qui était spécialement française, me plaisait moins que les autres villes américaines. Elle était sale, et les hôtels peu confortables.
Depuis, la ville a fait de grands progrès. Mais ce sont les Allemands qui y ont planté la griffe du progrès. A l’époque où je parle, en 1881, la ville était vraiment repoussante de saleté.
Hélas ! à cette époque, nous n’étions guère colonisateurs, et toutes les villes où l’influence française était prépondérante, toutes ces villes étaient arriérées et pauvres.
Je m’ennuyais mortellement à Saint-Louis, et voulais partir de suite après avoir payé le dédit au directeur. Mais Jarrett, l’homme intègre, l’homme de devoir, l’homme féroce, me disait, le contrat à la main : « Non, Madame. Il faut rester, mourir d’ennui si vous voulez, mais il faut rester. »
Pour me distraire, il me conduisit dans une grotte célèbre dans laquelle vivent des millions de poissons