Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

donnée mon père. « Tu as cassé la tête à ma poupée, méchante fille ! Tu as fait mal à mon père ! » Je refusai de manger. Et la nuit, je m’éveillai en nage, les yeux fous, sanglotant : « Papa est mort !… Papa est mort !… »

Trois jours après, maman venait me demander au parloir, et me tenant devant elle : « Fillette, je viens te faire du chagrin… Papa est mort ! — Je le sais, je le sais… » Et l’expression de mon regard fut telle, m’a souvent dit ma mère, qu’elle trembla longtemps pour ma raison.


Je devins triste et maladive. Je refusai de rien apprendre, sauf le catéchisme et l’histoire sainte ; je voulais être religieuse.

Maman avait obtenu qu’on baptisât mes deux sœurs en même temps que moi : ma sœur Jeanne qui avait alors six ans, et ma sœur Régina qui n’avait pas trois ans et qu’on venait de prendre pensionnaire, malgré son jeune âge, espérant me distraire un peu.

Je fus mise en retraite huit jours avant mon baptême et huit jours après, devant faire ma première communion la semaine suivante.

Ma mère, mes tantes Rosine Berendt et Henriette Faure, ma marraine, mon oncle Faure, mon parrain Régis, M. Meydieu, le parrain de ma sœur Jeanne et le général Polhes, celui de ma sœur Régina ; plus, les marraines de mes sœurs, mes cousins et cousines… Tout ce monde révolutionnait le couvent. Ma mère et mes tantes étaient en deuil élégant. Ma tante Rosine avait mis une branche de lilas à son chapeau, « pour égayer le deuil », disait-elle (phrase étrange que j’ai entendue sûrement depuis, par d’autres qu’elle).

Jamais je ne m’étais sentie plus loin de tout ce monde venu pour moi.