Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/66

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toujours le mot pour faire rire les hommes, mots dont je n’ai connu le sens et la crudité que plus tard. Elle était le boute-en-train de notre caravane. Nous ayant vu naître, elle était familière, et parfois blessante ; mais je ne me laissais pas faire et je répliquais cruellement. Elle se vengeait le soir en faisant un plat de dessert que je n’aimais pas.


Je reprenais bonne mine. Et quoique très religieuse, mon mysticisme se calmait. Seulement, ne pouvant vivre sans passion, je me pris à adorer les chèvres ; et je demandai très sérieusement à maman si elle voulait me permettre de devenir une chevrière. « J’aime mieux cela que religieuse ! — Nous en reparlerons ! » me dit ma mère.

Tous les jours, je descendais dans mes bras un petit chevreau ou une petite chevrette. Nous en avions déjà sept, quand ma mère arrêta ce beau zèle. Il fallait retourner au couvent. Mon congé était fini. Je me portais bien.

Il fallait rentrer travailler. J’acceptai avec plaisir, au grand étonnement de maman qui adorait voyager, mais détestait se déplacer.

Moi, j’allais revoir des villes, des villages, des gens, des arbres qui changeraient ; m’asseoir dans des choses qui rouleraient, refaire des malles, des paquets. J’étais ravie. Je demandai à emmener mes chèvres ; mais ma pauvre maman faillit avoir un coup de sang : « Tu deviens folle ! Sept chèvres en chemin de fer, en voiture ; où veux-tu les placer ? Non ! mille fois non ! » J’obtins pourtant d’en emmener deux. Plus, un merle que m’avait donné un montagnard.

Et nous voilà de retour au couvent.

Je fus reçue avec une joie si sincère, que, de suite,