Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/73

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Je descendis et tombai repentante et désolée dans ses bras maternels. Elle ne me dit rien de la vilaine histoire et m’entraîna vivement vers le couvent.

J’étais trempée par la buée glaciale, les joues brûlantes, les pieds et les mains glacés.


Je restai vingt-trois jours entre la vie et la mort. J’avais une pleurésie. Mère Sainte-Sophie ne me quitta pas un instant. Hélas ! la douce mère s’accusait de mon mal : « Je l’ai laissée trop longtemps !… » disait-elle en se frappant la poitrine. « C’est ma faute ! c’est ma faute ! »

Et ma tante Faure venait me voir presque tous les jours. Maman étant en Écosse, revenait à petites étapes. Ma tante Rosine, à Baden-Baden, avait trouvé une martingale qui ruinait toute la famille. « Je viens, je viens… » écrivait-elle de temps en temps, en demandant de mes nouvelles.

Le docteur Despagne et le docteur Monod, qui avaient été appelés en consultation, m’avaient crue perdue. Le baron Larrey, qui m’aimait beaucoup, venait souvent. Il avait une certaine influence sur moi. Je faisais volontiers ce qu’il disait.

Maman arriva quelque temps avant ma convalescence et ne me quitta plus. Puis, quand je fus transportable, elle m’emmena à Paris, promettant de me ramener au couvent aussitôt guérie.

Et ce fut pour toujours que je quittai ce cher couvent.

Mais ce ne fut pas pour toujours que je quittai mère Sainte-Sophie, je l’emportai en moi : elle fit longtemps partie de ma vie. Et aujourd’hui qu’elle est morte depuis des années, son souvenir évoque en moi les