Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/74

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simples pensées d’autrefois et fait fleurir en moi les simples fleurs d’antan.


La vraie vie commença pour moi.

La vie claustrale est une vie pour tous : qu’on soit cent, qu’on soit mille, on vit une vie qui pour toutes est la même et unique vie ; les bruits du dehors se brisent sur la lourde porte du cloître. L’ambition consiste à chanter plus haut que les autres à Vêpres ; à prendre un peu plus de banc ; à tenir le bout de la table ; à être au tableau d’honneur…


Quand j’appris que je ne retournerai plus au couvent, il me sembla qu’on me jetait dans la mer. Et je ne savais pas nager. Je suppliai mon parrain de me remettre au couvent. La dot que m’avait laissée mon père suffisait largement pour ma dot de religieuse. Je voulais prendre le voile.

« Soit ! dit mon parrain. Tu prendras le voile dans deux ans, mais pas avant. En attendant, apprends ce que tu ignores, c’est-à-dire tout, avec l’institutrice que ta mère t’a choisie. »

Et, le jour même, une vieille demoiselle, aux yeux gris pleins de douceur, vint prendre possession de ma vie, de mon cerveau, de ma conscience, pendant huit heures par jour… Elle avait nom : Mademoiselle de Brabender. Elle avait élevé une grande-duchesse, en Russie. Elle avait la voix douce ; des moustaches rousses énormes ; un nez grotesque ; mais une façon de marcher, de s’exprimer, de saluer, qui imposait la déférence.

Elle habitait un couvent, rue Notre-Dame-des-Champs. C’est pourquoi, malgré les instances de ma