Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/82

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La porte s’ouvrit doucement et donna passage à une créature pâle, brune, poétique et charmante : c’était Mme Guérard, « la dame du dessus », comme disait Marguerite.

Ma mère s’était liée avec elle. Son amitié était un peu protectrice, mais Mme Guérard prenait en patience les petits froissements qu’on lui infligeait parfois, par adoration pour moi. Elle était grande, mince comme un fil, souple et grave. Elle habitait au-dessus de nous et était descendue en cheveux, vêtue d’un peignoir en indienne à petits branchages marrons.

M. Meydieu bougonna je ne sais quoi. L’abominable notaire salua à peine Mme Guérard. Le duc de Morny la salua avec grâce : Guérard était si jolie ! Mon parrain fit un signe de tête : Mme Guérard comptait si peu pour lui ! Ma tante Rosine la toisa légèrement. Mlle de Brabender lui serra tendrement la main : Mme Guérard m’aimait tant ! Mon oncle Félix Faure lui présenta un siège et la fit asseoir avec bonté, en demandant des nouvelles de son mari, un savant avec qui mon oncle travaillait parfois pour son livre : La vie de Saint Louis. Maman avait glissé un regard sous ses cils, mais n’avait pas levé la tête : Mme Guérard ne préférait pas ma sœur !


« Eh bien, nous sommes ici pour cette petite ; il faut pourtant en parler », dit mon parrain.

Je me mis à trembler et me serrai entre « mon petit’dame » (c’est ainsi que j’appelais Mme Guérard depuis mon enfance) et Mlle de Brabender. Chacune me prit la main pour me donner du courage.

« Oui, continua M. Meydieu à travers un gros rire, il paraît que tu veux être religieuse ? — Ah ! bah ! » fit le