Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/84

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avait dit cela d’une voix lente et douce. Le bruit d’une petite cascade qui descend claire et chantante de la montagne entraînant des petits graviers, puis peu à peu grossie par la fonte des neiges entraînant des rochers et des arbres, telle me semble avoir été, à ce moment-là, la voix pure et traînante de maman.

Je bondis en arrière, me rejetant au milieu du groupe atterré par cette boutade pleine d’inconscience. J’allais de l’un à l’autre, expliquant le pourquoi de ma résolution. Je donnais des raisons qui n’en étaient pas. J’allais de l’un à l’autre, cherchant un appui.

Enfin le duc de Morny, qui commençait à s’ennuyer, se leva : « Savez-vous ce qu’il faut faire de cette enfant ?… Il faut la mettre au Conservatoire. » Il me tapota la joue, baisa la main de ma tante et, après avoir salué les hommes, je l’entendis qui disait à maman en se penchant sur sa main : « Vous auriez fait un mauvais diplomate ; mais suivez mon conseil, mettez-la au Conservatoire ». Et il disparut.

Je regardai tout le monde, angoissée par ce mot : « Conservatoire ». Qu’est-ce que c’était ?

Je me penchai vers mon institutrice, Mlle de Brabender : elle pinçait les lèvres et me semblait choquée, comme lorsque mon parrain lançait quelque plaisanterie un peu lourde à table.

Mon oncle Félix Faure regardait le parquet, absorbé. Le notaire avait un œil plein de rancune. Ma tante pérorait, très excitée. M. Meydieu hochait la tête avec des « peut-être bien », des « qui sait ? », des « hem ! hem ! ». Mme Guérard restait pâle, triste, et me regardait avec une infinie tendresse.

Qu’était-ce donc que le Conservatoire ? Ce mot, lancé légèrement, avait bouleversé tout le monde. Chacun me