Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/87

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ma fortune est en viager, je ne laisserai donc rien à mes enfants. Je veux leur donner une carrière ! » Épuisée par tant de paroles, ma dolente maman s’allongea dans un fauteuil.

Je m’énervais outre mesure, et ma mère me pria de me retirer.

Mlle de Brabender essaya de me consoler. Mme Guérard trouvait que cette carrière avait des avantages, Mlle de Brabender trouvait que le couvent avait un grand charme pour une nature aussi rêveuse. Cette dernière était pieuse, croyante et pratiquante, et « mon petit’dame » était païenne dans la plus pure acception du mot. Et cependant, ces deux femmes s’entendaient, car elles avaient une tendresse adorante pour moi. Mme Guérard adorait en moi la rébellion orgueilleuse de ma nature, la joliesse de mon visage, la gracilité de mon corps. Mlle de Brabender s’attendrissait sur la faiblesse de ma santé ; elle consolait mon chagrin de n’être pas aimée comme ma sœur ; mais elle aimait par-dessus tout ma voix ; elle disait volontiers que ma voix était modulée pour les prières ; et mon goût pour le couvent lui semblait tout naturel.

Elle m’aimait d’une tendresse douce et religieuse. Et Mme Guérard m’aimait avec des élans de paganisme.

Ces deux femmes, dont j’adore encore le souvenir, s’étaient partagé mon moi, et s’accommodaient à merveille de mes défauts et de mes qualités. Je leur dois certainement à toutes deux l’étude et la vision de moi-même.


Cette journée devait finir de la façon la plus biscornue.

Je m’étais étendue dans le petit fauteuil de paille