Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’était le plus bel ornement de ma chambre de jeune fille. Je m’étais assoupie, la main dans la main de Mlle de Brabender. Mme Guérard était remontée chez elle.

La porte de ma chambre s’ouvrit, et ma tante entra, suivie de maman. Je la vois encore, ma tante, dans sa robe de soie puce garnie de fourrures, son chapeau de velours marron attaché sous le menton par deux grandes et larges brides. Maman la suivait. Elle avait retiré sa robe et passé un peignoir de laine blanche. Maman détestait rester en robe. Je compris à ce changement que tout le monde était parti et que ma tante, elle aussi, s’apprêtait à quitter la maison. Je me levai, mais maman me fit asseoir : « Repose-toi encore, car ce soir, nous te conduirons au Théâtre-Français. »

Je compris que c’était pour m’allécher et ne montrai aucun plaisir, quoique dans le fond je me sentais joyeuse d’aller au Théâtre-Français. Je ne connaissais, en fait de théâtre, que Robert-Houdin où on me menait parfois avec ma sœur ; et je crois que c’était surtout pour la mener, elle, car moi, j’étais vraiment un peu grande pour prendre plaisir à ce spectacle.

« Voulez-vous venir avec nous ? dit maman à Mlle de Brabender. — Volontiers, Madame, répliqua cette chère demoiselle. Vous me permettrez d’aller me changer ? » Ma tante riait de mon air bougon.

« Ah ! petite masque, dit-elle en s’en allant, tu caches ton plaisir. Eh bien, tu verras ce soir des actrices. — Est-ce que Rachel joue ? — Oh ! non, elle est malade. »

Ma tante m’embrassa et sortit en me disant : « À ce soir ! » Ma mère la suivit. Mlle de Brabender se leva, affairée. Elle devait partir tout de suite pour s’habiller et prévenir qu’elle ne rentrerait que très tard, car il