Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/95

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tement le contenu, car ma pauvre chère Guérard avait gardé précieusement tout ce qui me touchait ; et c’est elle qui m’a remis quantité de documents qui me servent très heureusement aujourd’hui.

Voici le travail de cet odieux ami :


« Tous les matins pendant une heure, sur les do, ré, mi, faire l’exercice : te, de, de pour arriver à vibrer.

Avant de déjeuner, dire quarante fois : Un-très-gros-rat-dans-un-très-gros-trou…, pour ouvrir les r.

« Avant dîner, quarante fois : Combien ces six saucisses-ci ?C’est six sous ces six saucisses-ci !Six sous ces six saucissons-ci ?Six sous ceux-ci ! six sous ceux-là ! Six sous ces six saucissons-ci !… pour apprendre à ne pas siffler les s.

« Le soir en se couchant, vingt fois : Didon dîna, dit-on, du dos d’un dodu dindon…, et vingt fois : Le plus petit papa, petit pipi, petit popo, petit pupu… Ouvrir la bouche en carré pour les d et la fermer en cul de poule pour les p… »


Il vint très sérieusement remettre ce travail à Mlle de Brabender qui, très sérieusement, voulut me le faire exécuter. Elle était charmante, Mlle de Brabender, et je l’aimais, mais je ne pus résister au fou rire quand, après m’avoir fait dire les te, de, de, qui passaient encore, et le très gros rat…, elle entama les saucissons… Non, ce fut une cacophonie de sifflements dans sa bouche édentée, à faire hurler tous les chiens de Paris. Et quand le Didon dîna… se mêla de la partie, accompagné du plus petit papa…, j’ai cru que la raison échappait à ma chère institutrice : les yeux mi-clos, la figure rouge, la moustache hérissée, l’air sentencieux et pressé, la bouche s’élargissant en coupure de tirelire, ou