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au large de l’écueil

distraitement le colloque assez vif des jeunes filles.

— Vous vous y connaissez tellement bien en beaux paysages, que je ne crains rien, dit la Française, regrettant d’avoir laissé deviner son trouble.

— Je ne vous ai jamais déçue, alors, répond-il.

— Oui, vous ne m’avez jamais trompée, dit-elle, et Jules est confirmé dans l’assurance qu’elle n’a jamais eu d’espoir.

— La Croix ! s’écrie Jeanne, et elle se met à courir, folle d’allégresse.

Marguerite et Jules restent seuls. Un malaise invincible les paralyse. Il leur est impossible d’échanger les impressions banales qu’ils cherchent en vain dans leurs âmes effrayées l’une de l’autre. Ils avancent, au milieu des fleurs sauvages, vers la Croix prochaine qui les fascine. Elle est géante sur un piédestal de rocs antiques, soulève dans le firmament bleu sa tête dominatrice, et le bois nu de ses larges bras étendus remplit l’espace de grandeur et de souveraineté. En l’apercevant, la Voltairienne a été secouée d’un frisson puissant tout le long de son être, a eu le cœur noyé d’une émotion surabondante où