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au large de l’écueil

la terreur et l’admiration se mêlaient étrangement. L’esprit discipliné à bannir le surnaturel a dompté sur-le-champ l’impression magnétique.

Refermant leur ligne sur la clairière où les jeunes gens réunis causent du paysage orgueilleux, les sapins austères se dérident sous le soleil palpitant des premiers jours de septembre. C’est un coin de nature primitive, rude et terrifiante. Les rochers du laurentien le plus pur étagent leurs plans torturés ou bossus en une colline terne et bizarre. Par-delà la cîme fière, on voit le clocher grêle de Notre-Dame-des-Neiges gravir timidement l’azur, et la cloche rouillée paraît s’ennuyer d’être silencieuse. Le lichen, çà et là, sur la pierre millénaire, gonfle sa nappe argentée d’un jour. Des framboisiers presque rachitiques vivotent au milieu des airelles plus vigoureuses. Il est charmant de se reposer l’œil sur les « quatre-temps » rouges et les campanules ouvrant leur âme bleue. Un émerillon affamé qui menaçait dans les airs, s’est dardé comme une flèche dans les arbres. Les trois amis reviennent souvent à la Croix dont l’ombre immense écrase les alentours sauvages et plane au-delà jusqu’aux horizons que la forêt dérobe encore.