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XI


Le convoi électrique roule à grande allure égale et ronflante vers Sainte-Anne-de-Beaupré. Jeanne et Marguerite, pelotonnées l’une contre l’autre, osent à peine se balbutier quelques mots rares et timides. Gilbert, assis en face d’elles, impassible et taciturne, glace l’atmosphère. Les yeux de la malade que la dernière nuit sans sommeil a remplis de ténèbres plus opaques, ne peuvent plus qu’entrevoir la forme rigide et muette, ils ne discernent pas les traits figés du père. Sans qu’il parle, elle a la sensation qu’il rumine quelque chose d’hostile et que la fureur s’amasse en son âme comme la vapeur en vase clos. Elle sait bien que plus il songe à la démarche qu’il a permise, hypnotisé par le fluide surhumain qui électrisait son langage d’hier, plus il a maintenant l’horreur d’avoir cédé. Elle devine qu’il prépare un antagonisme à chaque instant plus maussade et plus fort, mais elle va lutter contre l’assaut de haine, et Dieu ne pour-