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au large de l’écueil

— Elle te tient donc encore, ta chimère de l’âme canadienne ! reprit le père. Plus j’y songe, moins je la trouve possible… Les Anglais nous méprisent, tu le sais bien, nous traitent en race inférieure, ne voient en nous que les fils des vaincus… Souviens-toi de ces Anglaises qui nous appellent, dans leur suprême dédain, la race des « porteurs d’eau » !…

— C’est un outrage qui se retourne contre elles, mon père… Elles ont raison : nous sommes les descendants des « porteurs d’eau », de ceux qui eurent à « porter » les sanglots de la défaite, les descendants des femmes qui « portèrent » les pleurs qu’elles répandirent sur la tombe des fils et des époux dévorés par les Plaines d’Abraham !… C’est notre droit de relever l’insulte… Oui, nous sommes des « porteurs d’eau », mais nous n’avons pas à rougir… C’est parce qu’ils avaient du cœur que nos aïeux furent humiliés de la conquête, qu’elles avaient des entrailles que les femmes gémirent sur la mort des héros… Tous les Anglais de cœur, et ils le sont presque tous, le savent bien !… À la place des nôtres, auraient-ils, auraient-elles fait