Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/102

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des horizons plus larges… Quelques secondes plus tôt, il prononçait lui-même : « Nous n’aimons pas notre race ! » niais sans aller jusqu’aux profondeurs de cette parole. Aime-t-il sa race, l’homme qui la méprise dans le sang de l’ouvrier ? Est-il nécessaire d’outrager pour que l’on dédaigne ? L’indifférence qui ignore n’est-elle pas un déni d’amour ? C’est comme, si le poids des indifférences écrasait Jean de sa lourdeur : il en a la certitude en soi, l’apathie circule entre la classe des travailleurs, paysans ou manœuvres, et celles qui en sortent. Les organismes de la race canadienne-française vivent isolément, sans l’amour qui les nouerait ensemble. Et les haines intimes débilitent, même chacun des organismes… Une multitude de faits révélateurs, que des larmes d’ouvrière ont tout à coup réunis en lui-même, assiègent l’esprit de Jean, démasquent une vérité poignante…

Paul Carneau eut comme une divination de ce que son compagnon ne disait pas.

— Tu n’as pas répondu, Jean ! Tout est là, peut-être…

— Tout est là, Paul, j’en suis convaincu !

— Comme tu es étrange ! Ne te laisse pas déprimer ainsi : grâce à Dieu, nous ne sommes pas coupables.

— C’est vrai, et pourtant…