Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ne fut-elle pas obsédée par une leurre ? Le lendemain, le soir même du jour où il prit l’engagement qu’elle avait reçu de tout l’élan de son âme, il a peut-être oublié. Les soupçons d’alors de nouveau l’inquiètent ; la bonhomie de Jean Fontaine avait été une apparence, un mirage, une politesse débonnaire qui déguisait l’ennui, plus visible à l’adieu. Le patron dirigeait cinq cents ouvriers : l’un d’eux valait-il la peine qu’on eût de la sympathie, qu’on se dérangeât ? Le fils jeune, avenant, si bien vêtu, de parfaites manières, avait assurément d’autres plaisirs que celui de compatir au malheur des ouvriers qui tombaient, des plaisirs qui lui avaient obscurci la mémoire. Il se fait en l’âme de la jeune fille comme une chute profonde. Elle est déprimée, tout-à-coup sans ressorts intimes. Elle regarde le visage brisé de son père, elle entend la respiration fragile : l’effroi la glace, elle tremble. Puis, elle revoit les fortes joues saignantes, les épaules largement solides, les yeux palpitants de clartés saines, l’affectueux sourire de François Bertrand, si crâne avant les fièvres… Elle s’insurge, elle ne veut pas admettre que tout soit perdu. Un retour de courage la secoue, la ranime. La physionomie de Jean ne se présente plus à elle que franche, inspiratrice de bravoure. On ne ment pas, quand on sourit avec une telle lumière