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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

refait l’original et l’idéalise, un rêve splendide créé avec un peu de beauté qu’on grandit soi-même, parce que Lucile elle-même lui est chère ! Par quel aveuglement systématique et injuste se laissa-t-il obscurcir les yeux ? Il était facile de voir ce qu’elle était, la loyauté du cœur, la haute et sereine envolée de l’âme, la clarté de l’intelligence, la noblesse innée d’elle-même entière. Auprès d’elle, il avait cédé à l’orgueilleux instinct de l’homme du monde qui, malgré sa bonhomie et sa déférence envers quelqu’un des classes inélégantes, croit toujours décerner une faveur. Tout ce qu’il pouvait fournir de condescendance et de respect, la jeune fille de l’ouvrier le reçut : bien que sa beauté opérât vivement sur l’imagination du protecteur, il n’en avait pas moins conscience d’être plus élevé, plus raffiné, plus distingué qu’elle. Et c’est un peu comme, du haut d’une falaise, on contemple une fleur jolie et fragile perdue là-bas au milieu des rochers, qu’il la regardait. Il était charmant de la voir si pure et fière, elle ne valait pas qu’on se donnât le trouble de l’aller cueillir. Après avoir tergiversé quelques minutes, il se flatta de n’avoir agi qu’activé par l’abnégation la plus belle, il se rendit le témoignage que pour une autre famille ouvrière, en des circonstances identiques, sans une adorable Lucile pour venir l’ap-