Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/92

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pourtant, Jules, répond-il. Je regarde la foule, comme vous tous, chers amis, mieux que vous, puisque je parle moins.

— Tiens ! nous parlons trop ? Nous ne voyons rien, nous qui ne songeons qu’à voir ! dit un autre.

— Il est des choses que vous ne voyez pas.

— Quoi donc ?

— Pourquoi ternir votre joie si claire ? dit Jean, avec une gravité douce. Ce que j’aurais à dire n’est pas gai, voilà tout… C’est une impression confuse. Je ne saurais préciser d’elle qu’une chose, c’est qu’elle me possède. Je regrette de ne pouvoir rire comme vous…

Jean ne cherche plus de causes à cette peine, il s’y abandonne servilement. Autour de lui, les gens s’appellent, se crient des riens, souvent des niaiseries, se mêlent, se piétinent, s’excusent ou se chatouillent l’épiderme d’invectives, commencent à oublier… La Grande Allée fourmille d’une cohue babélique. Les cochers, le visage en contorsions, le geste furibond, glapissent, tonnent, anathématisent, se servant de leurs vocables tranchants comme les archers de leurs lances pour frayer jadis un passage au carrosse des rois. Les tramways écrasent sous le poids des êtres humains. Les lampes électriques clignotent d’un œil narquois. Tout ce tumulte n’empê-