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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

parce que son professeur de rhétorique crut devoir la lui faire modifier :


À LA MUSIQUE


Place de la Gare, Charleville.



Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses shakos dans la valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin,
Le notaire pense à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs,
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames,
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames.

Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités,
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent et reprennent : « En somme… »

Étalant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde, — vous savez, c’est de la contrebande !